13 régimes alimentaires hors du commun chez les serpents

Tous les serpents sont des prédateurs, ils capturent tous des proies. Ils utilisent parfois des leurres : cela peut être la langue utilisée comme une petite chenille pour attraper les oiseaux, comme pour les Thelotornis, de dangereux serpents-liane africains, cela peut également être la queue se terminant d’une couleur vive et agitée comme un petit vers comme chez les vipères de la mort australienne… Mais il n’existe aucun serpent végétarien, tous se nourrissent d’autres animaux. On peut diviser les serpents en deux catégories de chasseurs : les généralistes, qui bien qu’ayant parfois une préférence pour un type de proie, sont capables d’en chasser d’autres, et les spécialistes, qui vous l’aurez compris, se sont spécialisés dans un type de proie bien précis.

 

Certains serpents ont développé des régimes alimentaires hors du commun, et il me tenait à cœur de vous les présenter. Ce ne sera pas cette fois-ci un « top 10 » comme j’ai l’habitude de le faire car il y a tout bonnement trop d’exemples fantastiques et je ne peux me résoudre à en passer un seul sous silence. Nous prierons le lecteur de prendre  connaissance du fait qu'il est rare de voir un serpent se nourrir dans la nature, moment où il est vulnérable, et que par conséquent, je n'ai pas pu trouver des photographies de chacune des prédations exposées ici. Voici donc treize régimes alimentaires incroyables de nos animaux préférés. N'oubliez pas de cliquer sur les photos pour les agrandir et voir leur description.

 

Je ne possède aucun droit pour les photos présentées ici, si leur propriétaire constate une erreur d'accréditation ou souhaite la retirer, il peut sans problème me le signaler.


13 - Les mangeurs de termites :

 

Nous vous avions déjà présenté les Leptotyphlopidés dans un article sur les serpents les plus étranges au monde. Cette famille, distribuée en Amérique du Nord, Centrale et du Sud, ainsi qu’en Afrique et en Asie mineure, compte les serpents les plus petits du monde, mais ceci fera l’objet d’un autre article sur les records chez les serpents. Ces petits reptiles se nourrissent exclusivement de minuscules invertébrés, et certaines espèces sud-américaines sont carrément spécialisées dans la chasse aux termites, on les soupçonne même de vivre le plus clair de leur temps dans les termitières. Ces serpents n’ayant des dents que sur la mandibule (mâchoire inférieure), ils pratiquent ce que l’on appelle le ratissage mandibulaire : ils « aspirent » les termites dans leur œsophage en faisant des va-et-vient avec leur mandibule. L’on pourrait légitimement se demander comment font ces minuscules serpents qui ne dépassent pas souvent l’épaisseur et la longueur d’un stylo bille pour ne pas se faire attaquer par les milliers de soldats termites dont ils enfreignent le royaume. Nous avons découvert qu’ils s’enduisent d’une substance cloacale (orifice uro-ano-génital) qui endigue l’agressivité des soldats. C’est dire à quel point ils sont évolués et spécialisés dans cette chasse. En résumé : ce sont des agents secrets, qui rentrent furtivement dans la base ennemie en anesthésiant les gardes !

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12 - Les "myrmécophages" et autres mangeurs de larves d’insectes :

 

Les myrmécoptères étant les fourmis, je me suis permis de proposer le terme de « myrmécophage », bien que je ne sache pas s’il existe vraiment, c’est pourquoi je garde la prudence des guillemets. Les Typhlopidés, largement distribués en Amérique-Centrale, du Sud, en Afrique, en Asie, Indonésie et Océanie et les Anomalépididés, distribués en Amérique Centrale et du Sud sont de petits serpents primitifs au corps cylindrique se nourrissant de fourmis et de larves de coléoptères. Ayant des dents uniquement sur le maxillaire (mâchoire supérieure), ils pratiquent, eux, le ratissage maxillaire. Ces proies étant minuscules, ils sont obligés d’en ingurgiter une grande quantité. On a déjà retrouvé 1400 fourmis dans l’estomac d’un Typhlopidé !

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11 - Les oophages :

 

Les serpents oophages sont les serpents qui se nourrissent uniquement d’œufs. En Afrique, l’on trouve par exemple les célèbres Dasypeltis, ainsi que les serpents du genre Elachistodon se nourrissant d’œufs d’oiseaux: ils ingurgitent ces derniers tout entier, et un os présent sur leurs vertèbres appelé hypapophyse (voir figure ci-contre), plus développé que chez les autres serpents, scie littéralement la coquille d’une coupure nette et bien droite lors de l’ingurgitation. Une fois le contenu ingéré, ils régurgitent la coquille cassée. A quelques milliers de kilomètres vivent des serpents marins australasiens eux aussi spécialisés dans la chasse aux œufs, mais pas les mêmes. Il s'agit du serpent marin à tête de tortue (Emydocephalus annulatus), et d'Aipysurus eydouxii, qui ne mangent que des œufs de poissons qu’ils dénichent dans les récifs. Étant des Ephalophiinés, sous-famille de serpent-marin primitive, ils possèdent un puissant venin neurotoxique, mais leur appareil venimeux est très atrophié et il sont inoffensifs pour l’homme. Les mâles tête-de-tortue sont noirs et possèdent un appendice rostral leur servant à courtiser les femelles. Également, fait peu connu, certains serpents se nourrissent entre-autre d’œufs d’amphibiens, comme le serpent à tête de chat (Leptodeira septentrionalis), ou encore Taeniophallus bilineatus et Erythrolamprus atraventer, espèces amazoniennes. Enfin, fait surprenant, certains serpents sont spécialisés dans les œufs de serpents et de lézards, comme les Simoselaps australiens, qui possèdent des dents plus longues sur la mandibule pour "scier" la coquille de l’œuf, qu’ils ne recrachent d’ailleurs pas, contrairement aux Dasypeltis africains. Ces serpents ont le museau légèrement retroussé, pour leur faciliter l’accès des dents spécialisées à la coquille.


10 - Les charognards :

 

On aurait peine à le croire, mais c’est bien réel : certains serpents sont charognards. Attention toutefois, ils ne sont pas spécialisés dans la charogne, mais comme tous les prédateurs, ils calculent leur dépense d’énergie et font vite leur choix : de la même manière qu’un loup préférera attaquer un mouton qui ne risque pas de le blesser avec des cornes ou des dents pointues et qui ne cours pas vite, ces serpents dépensent moins d’énergie en se nourrissant de proie déjà mortes. Les Mocassins d’eau (Agkistrodon piscivorus), crotales aquatiques américains et un petit serpent cubain, Borikenophis portoricensis richardi, ont déjà été observé se nourrissant de poissons tués par les pélicans lors du nourrissage des jeunes, qu’ils récupèrent sous les zones de nidification. Fait stupéfiant, une couleuvre australienne, Tropidonophis mairii a été observée en train de se nourrir de grenouilles écrasées sur la route !

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9 - Les carcinophages :

 

Terme peu usité : la carcinophagie désigne le fait de se nourrir uniquement de crustacés. Une couleuvre de la sous-famille des Homalopsinés, Fordonia leucobalia, en fait parti. Largement distribuée des Philippines jusqu’en Papouasie-Nouvelle Guinée, ce beau serpent, très polymorphique (plusieurs couleurs au sein de la même espèce) vit dans les eaux vaseuses des mangroves et chasse des crevettes, des crabes et des écrevisses dans leurs terriers de boue. Il les étouffe dans ses anneaux comme n’importe quel serpent constricteur. De l’autre côté de la planète, au sud de l’Amérique du Nord, se trouve Regina grahamii, une petite couleuvre aquatique proche de notre couleuvre vipérine se nourrissant exclusivement d’écrevisses d’eau douce, qu’elle chasse uniquement après leur mue lorsque leur exosquelette est plus mou.

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8 - Les mangeurs de scolopendres :

 

Les scolopendres sont des myriapodes (milles-pattes) prédateurs et venimeux. Il n’existe pas de terme désignant la spécification en prédation de scolopendres. Certains serpents se sont spécialisés dans la chasse de ces redoutables mais merveilleux invertébrés. C’est par exemple le cas de Scolecophis atrocinctus, une petite couleuvre centre-américaine, et du genre Aparallactus, les "vipères" fouisseuses d’Afrique de la famille des Lamprophiidés, anciennement des Atractaspididés, dont nous avions déjà parlé dans notre article sur les serpents les plus étranges. Ces prédations sont impressionnantes à observer.

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7 - Les "batracophages" :

 

Nous désignerons sous ce néologisme les serpents se nourrissant de batraciens. Les serpents à groins, comme Heterodon platirhinos, sont des couleuvres américaines possédant une écaille rostrale très développée leur servant à déterrer les crapauds qui s’ensevelissent dans le substrat, à la manière d’un levier. Ils possèdent une denture appelée opisthodonte (à ne pas confondre avec opistoglyphe), c’est-à-dire qu’ils possèdent des crochets à venin postérieurs, mais non canaliculés : le venin coule directement sur ceux-ci via des glandes salivaires améliorées représentant l’intermédiaire entre la venimosité pure et l’absence d’appareil à venin, ce qui tend à démontrer que les serpents venimeux sont les plus évolués. D’autres serpents spécialisés dans les amphibiens, comme le genre sud-américain Xenodon (littéralement "dents étrangères"), à la denture aglyphe (c’est à dire sans crochets ni glandes à venin) mais avec ce qu’on appelle un diastème (voire figure ci-contre), des crochets plus longs situés au fond de la gueule, qui pivotent et servent à percer les amphibiens qui se gonflent d’air lorsqu’ils sont capturés. Fait stupéfiant : une petite couleuvre sud-américaine, Erythrolamprus epinephelus, est l’unique animal au monde à être capable de tuer et d’ingérer le batracien le plus toxique de la planète : Phyllobates terribilis. Il semblerait cependant qu’elle ne soit capable de manger sans danger que les juvéniles.


6 - Les malacophages :

 

Les serpents malacophages sont ceux se nourrissant de gastéropodes (limaces et escargots en l’occurrence). Un certains nombre de serpents sont concernés par ce régime alimentaire, les Pareatinés, sous-famille de couleuvres endémiques de l’Asie en font parti. Au sein de ce groupe, l’on peut citer l’étonnant Aplopeltura boa (cliquer pour voir une vidéo), au physique si singulier : ses yeux sont dirigés vers l’avant, comme beaucoup de serpents malacophages, et ses dents à l’avant du maxillaire sont plus solides et plus longues. Se nourrissant d’escargots, il les aspire à l’entrée de la  coquille, en quelques minutes, de manière similaire aux Dipsas, petits serpents arboricoles au corps très fin d’Amérique du Sud. En Amérique Centrale et au Canada, l’on peut citer le genre Storeria (cliquer pour voir une vidéo), de grandes couleuvres proches de nos couleuvres aquatiques européennes, dont deux espèces, S. occipitomaculata et S. dekayi, se nourrissent en grande partie de limaces et d’escargots. Elles poussent l’escargot contre une pierre, tournent la tête à 180°C et attendent que les muscles de la proie se fatiguent se relâchent et l’extirpent ainsi pour l’ingurgiter.


5 - La mangeuse d’orthoptères :

 

Stoppons un instant ce tour du monde des serpents fin gourmets pour faire une escale chez nous : parlons de la Vipère d’Orsini (Vipera ursinii). Cette toute petite vipère, (qui détient plusieurs records dont nous parlerons dans un futur article), se nourrit quasi-exclusivement d’orthoptères, c’est-à-dire de sauterelles, de criquets et de grillons. Pour neutraliser ce genre de proie, son venin est nécessairement peu virulent et est totalement inoffensif pour l’homme.

Crédits photos :

Frank Deschandol (site et galerie Flickr).


4 - Les spécialistes des amphisbènes :

 

Pour commencer, il convient de préciser ce que sont les amphisbènes : ce sont des reptiles extrêmement primitifs, a la vue très réduite, passant le plus clair de leur temps sous terre ou sous l’humus forestier. Ils constituent une sorte d’intermédiaire entre les serpents et les lézards. On pourrait facilement les confondre avec des serpents aveugles du genre Typhlops, mais ils sont pourtant bien différents : les amphisbènes se déplacent par contractions péristaltiques, autrement dit comme les vers de terre, mais pas toujours. Ils ont le corps entièrement cylindrique, leurs écailles ne se chevauchent pas et forment des anneaux, encore une fois, à la manière des vers de terre. Certains amphisbènes (notamment le genre Bipes, cliquer pour voir une vidéo) possèdent des membres antérieurs. Contrairement aux serpents, ils sont capables d’autotomie (auto mutilation de la queue pour leurrer un prédateur). Maintenant que les présentations sont faites, parlons des serpents qui les mangent : commençons par les serpents-corail du genre Micrurus. Il a été noté que les espèces M. laticorallis; et M. corallinus se nourrissaient essentiellement d’amphisbènes. Les petites couleuvres du genre Elapomorphus se nourrissent elles aussi de ces étranges reptiles antédiluviens. Mentionnons également les Chilorhinophis et les curieux Xenocalamus africains, spécialistes de la chasse aux amphisbènes, qu’ils avalent en sous-sol.


3 - Les mangeurs de tortues :

 

Aucun serpent n’est spécialisé dans la prédation des tortues, tant celles-ci sont protégées par leurs carapaces. Mais jusqu’ici, plus rien n’étonnera le lecteur : certains serpents s’avèrent capables de tuer, puis d’avaler des tortues. C’est le cas du Mocassin d’eau (Agkistrodon piscivorus), déjà cité, dont on sait qu’il se nourrit parfois de tortues du genre Trachemys (les tristement célèbres "tortues de Floride"), et de tortues boîte. Également, un serpent cubain, Cubophis cantherigerus, a été observé en train de dévorer une tortue caouanne juvénile sur une plage. Enfin, l’Anaconda vert (Eunectes murinus), a été plusieurs fois observé en train d’avaler d’énormes tortues aquatiques.


2 - Les mangeurs d’oiseaux:

 

Hormis pour un exemple bien précis que nous détaillerons ci-après, il semble qu’aucun serpent ne soit spécialisé dans la chasse aux oiseaux. En revanche, beaucoup de serpents, la plupart du temps arboricoles, sont des généralistes qui se nourrissent occasionnellement d’oiseaux, comme les serpents-liane africains du genre Thelotornis, ou la couleuvre d’Esculape (Zamenis longissimus)que nous avons en France. Mais il existe une île au sud de l’Australie, à l’est de la Tasmanie, appelée Chappell Island, où vit une population de serpents uniques au monde : des serpents tigres géants. Ils appartenaient autrefois à une sous-espèce des serpents tigres noirs tasmaniens : Notechis ater serventyi, mais cette taxonomie est aujourd’hui invalide. Toujours est-il que ces serpents extrêmement venimeux dépassent les deux mètres sur cette île, et se nourrissent exclusivement d’une espèce d’oiseau, seule proie disponible sur l’île, le Puffin à bec grêle. Ces oiseaux étant saisonniers, les serpents ne peuvent se nourrir que pendant leur présence, et jeûnent le reste de l’année, soit pendant 10 mois ! Devenant ainsi maigres et léthargiques. Citons également le désastre écologique de l’île de Guam dans l’océan Pacifique, causé par des Boiga irregularis, couleuvres venimeuses originaires de Papouasie Nouvelle-Guinée qui y ont été introduits après la seconde guerre mondiale, et y ont causé l’extinction de 12 espèces d’oiseaux endémiques de l’île ainsi que de deux chauves-souris et six lézards. Pour enrayer cette tragédie, les autorités ont largué des paquets de souris mortes remplies de paracétamol auquel les serpents sont censés être allergique.


1 - Les autophages.

 

Vous ne rêvez pas, certains serpents sont capables de s’auto-ingérer ! Rassurez-vous, il s’agit là d’une anomalie, quelque chose d’exceptionnel, mais qui arrive parfois dans la nature. Formant le symbole ésotérique de l’Ouroboros, ils sont souvent trompés par leur instinct de chasse et s’attaquent la queue, un peu comme les chiens. Cette pratique, souvent fatale au serpent, a été baptisée "pilote automatique" par les terrariophiles, qui ont parfois la désagréable surprise de trouver un de leur pensionnaire dans cet état un beau matin.



Conclusion :

 

Vous l’aurez compris, tous les serpents ne se nourrissent pas uniquement de souris ou de poissons. Certains serpents ont développé des spécialisations étonnantes, autant chez les plus primitifs que chez les plus évolués. Encore une fois, j’espère avoir un peu plus éveillé votre intérêt pour ces animaux fascinants, qui émerveillent mes pensées chaques jour. Si cet article vous a plu, n’hésitez pas à le partager à vos proches et à laisser un commentaire en dessous.

Guillaume Tessereau

Tessereau, 25/03/20.

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